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Région Occitanie : 252 millions pour huit éoliennes flottantes
VIDÉO. Les opposants au projet porté par Carole Delga dénoncent un massacre environnemental doublé d’un monumental gâchis d’argent public.
Par Stéphane Thépot
“Il y a urgence. Le vieux projet de l’extension du port de Port-la-Nouvelle, dans l’Aude, non loin de Narbonne, doit s’accélérer en 2020. Ce petit port mixte où des petits cargos qui importent des hydrocarbures et exportent des céréales se mêlent à une demi-douzaine de chalutiers aux portes de Narbonne va recevoir les premiers éléments de huit éoliennes expérimentales de 120 à 180 mètres de haut. Elles seront ancrées à une dizaine de kilomètres au large des stations balnéaires voisines de Gruissan et Leucate.
Sur le papier, tous les feux sont au vert. La région Occitanie, propriétaire du port, a voté une autorisation de programme de 252 millions d’euros. « Afin de respecter le calendrier de mise en place des fermes pilotes, les premières installations doivent pouvoir être livrées début 2020 », précise le rapport adopté le 16 février 2018 par la commission permanente. Les trois enquêtes publiques lancées en 2018 et 2019 pour l’agrandissement du port et les deux fermes éoliennes ont délivré des avis favorables.
Un massacre environnemental doublé d’un monumental gâchis d’argent public
Mais d’ultimes grains de sable sont venus gripper le mécano industriel géant imaginé en 2010 par les dirigeants de l’ex-région Languedoc-Roussillon. Une lettre ouverte adressée à Carole Delga, présidente (PS) de la nouvelle région Occitanie, réclame un moratoire immédiat des travaux. José Bové et Delphine Batho, éphémère ministre de l’Écologie, figurent parmi les signataires de cette apostrophe de trois pages qui sonne comme un ultime SOS contre un projet qualifié de « ruineux, climaticide et dommageable pour l’environnement ».
Les opposants affirment qu’il n’est pas nécessaire de démolir l’une des deux digues qui marquent l’étroite entrée du port pour faire passer les tronçons des futures éoliennes géantes. Ils s’appuient sur le renfort inattendu des entreprises pétrolières qui gèrent les cuves d’hydrocarbures stockées à Port-la-Nouvelle. Total et Dyneff ont créé la surprise en 2018 en donnant un avis défavorable à l’extension du port. Les deux groupes affirment qu’ils n’ont jamais été demandeurs de la nouvelle « darse pétrolière » que la région veut aménager pour permettre à des bateaux de plus grande capacité d’accoster directement. Les petits tankers qui approvisionnent les cuves restent aujourd’hui ancrés au large de Port-la-Nouvelle. Ils sont reliés à la terre par un oléoduc sous-marin.
Les travaux d’extension du port nécessitent la démolition de ce « sea-liner », construit en 1973 par une filiale d’ELF. Un surcoût potentiel par rapport aux 252 millions pouvant atteindre 70 millions a été avancé par les pétroliers ! Une facture supplémentaire de 7 à 8 millions pour le démontage, à laquelle s’ajoute la construction d’un nouveau « sea-liner » provisoire, le temps que la nouvelle digue, longue de 2 400 mètres, soit construite pour protéger le nouveau bassin du port, gagné sur la mer pourrait s’ajouter. À quel prix ? « Les citoyens et contribuables de la région doivent être informés de ces accords puisqu’il s’agit d’argent public », écrivent les signataires de la lettre ouverte à Carole Delga.
Port-la-Nouvelle se rêve en petit « Saint-Nazaire »
La présidente de la région, qui n’a pas souhaité répondre au Point, semble naviguer à vue à Port-la-Nouvelle. Interrogée lors d’une visite sur le terrain en novembre 2017, Carole Delga n’avait pas caché qu’elle a failli s’étrangler en découvrant l’ampleur des investissements prévus par ses prédécesseurs.
Découpé en trois tranches, le projet de « grand port maritime » prévoyait d’engloutir 380 millions dans une sorte de mini Fos-sur-Mer dans l’Aude. Georges Frêche rêvait d’y construire une raffinerie de « biocarburants » à base d’huile de palme importée d’Afrique. Le projet est tombé à l’eau et c’est alors que Carole Delga a sorti de son chapeau cette nouvelle génération d’éoliennes flottantes. La présidente de région s’est battue pour obtenir l’accord du gouvernement, qui réservait ces investissements à l’avenir encore incertain à la côte Atlantique.
Monstres flottants
Après Fos-sur-Mer, Port-la-Nouvelle se rêve en petit « Saint-Nazaire » de la Méditerranée. Contrairement aux éoliennes offshore classiques plantées au fond de la mer, personne ne maîtrise la technique et les coûts de ces monstres flottants qui seront ancrés au large, comme des navires. Chacune des deux « fermes expérimentales » pourrait alimenter l’équivalent d’une ville comme Narbonne (50 000 habitants) avec seulement quatre machines. Carole Delga, qui ambitionne de faire de l’Occitanie « la première région à énergie positive en 2050 », évoque désormais la production d’hydrogène pour « stocker » l’électricité produite à Port-la-Nouvelle. Mais cet investissement supplémentaire n’est pas chiffré. Il ne figure sur aucun plan du nouveau port…
La région va devoir emprunter pour financer les travaux de la première tranche du « grand port ». Les intérêts cumulés alourdiraient la facture de 24,5 millions sur vingt ans et jusqu’à 39,4 millions sur trente ans, selon le rapport de la commission permanente. Un rapport qui a finalement été signé par Carole Delga au nom du « plan Marshall » pour les entreprises du BTP annoncé au lendemain de son élection pour relancer l’économie régionale. Les entreprises du secteur assurent que cela va conforter 1 700 emplois.
Les grands travaux portent sur la démolition partielle d’une des digues qui marquent l’entrée actuelle du port alors que l’autre sera rallongée de 600 mètres après l’emblématique phare rouge. La construction d’une nouvelle digue de plus de 2 400 mètres pour remplacer celle qui sera partiellement détruite est programmée d’ici à 2023. À terre, un « quai lourd » de 200 mètres a été rebaptisé « quai éolien » pour réceptionner les tronçons des futures éoliennes flottantes. Un véritable chantier naval qui ne dit pas son nom doit être aménagé au bout du port. Le groupe Bouygues, qui doit déjà construire les barges en béton de l’une des deux fermes éoliennes flottantes, annonce avoir décroché le marché de la première tranche de l’extension du port pour un montant de 199 millions d’euros.”